Critique d’Art :
L’univers pictural et cosmique de Christophe Baudin,
par Hervé Miclot, philisophe
Le peintre
Formateur en anglais, il commence à entrer dans l’univers pictural en 2007, sans cours ni préparation particulière. Véritable conversion, sa vie se transforme au rythme des créations qu’il ne cesse de produire. Le voilà très rapidement happé par la peinture. Il s’agit d’un engagement de tout l’être, d’un exercice spirituel constant. Il pourrait revendiquer la parole de Malraux : « les artistes ne créent pas pour s’exprimer, ils s’expriment pour créer ».
Mais s’exprimer pour créer est une épreuve chaque jour renouvelée, car tout art ne se réalise pas seulement lors de l’acte créatif, mais durant les heures d’apparent dégagement. On ne s’éloigne jamais du geste artistique, lorsqu’il embrasse les profondeurs sensibles et affectives de l’être dans son entier. Il y a donc exigence permanente de progression et de découverte, et, pour ce faire, il faut tenter d’atteindre un degré de conscience et de liberté intérieure – donc de sincérité – susceptible de se risquer au travail des œuvres. Il cite volontiers Turner : « on ne crée qu’à partir du moment où on n’a plus peur ». Christophe Baudin apprend à se libérer peu à peu des contraintes sociales et des artifices, des images inadéquates de lui-même, des timidités stérilisantes, de ces habitudes et rituels capables d’engoncer la vie dans des couches de superficialité aliénantes. Il prend le pari de se rencontrer, de se mettre à l’épreuve, en se libérant et en se rendant disponible pour les peintures qui l’attendent. Le défi consiste à trouver et à tenir tout ensemble l’humilité de l’être et l’audace du peintre.
L’artiste peintre Christophe Baudin devant sa toile « Out of Time »
Copie du célèbre tableau « Le désespéré » de Gustave Courbet, autoportrait repris par Christophe Baudin en 2007
Une toile réalisée au début de ma carrière, les sujets vénitiens ont été mes sujets de prédilection pendant de nombreuses années
Le parcours et les œuvres
Pendant sept années, il approfondit sa quête de la peinture en travaillant des visages, en s’inspirant de toiles de maîtres comme Delacroix – notamment son autoportrait borderline qu’il s’attelle à copier – et Ingres, cherchant à produire la vérité des êtres et des choses, leur force intérieure, leur présence pleine et entière. Il se tourne vers les masques vénitiens, souhaite percer leur mystère, reproduit – mais toute reproduction est toujours interprétation et production différenciée – des paysages de la ville italienne, le reflet des eaux sur les murs, les effets du soleil et de la lune sur les parois ocres et jaunes. Au bout d’un an il expose, des toiles sont achetées, c’est le commencement d’une reconnaissance qui le légitime à ses propres yeux : on est aussi artiste par les autres, même si on se trouve seul devant la toile.
Les masques vénitiens lui apprennent l’honnêteté et la rigueur. Il s’aperçoit que ces masques l’occupent parce qu’ils soulignent ses propres masques, ceux qu’il porte et qui le dissimulent et le réconfortent, parce qu’ils lui évitent de se montrer, de s’exposer… Mais ces masques, il souhaite les mettre à nu, il souhaite en percer la plasticité pour trouver d’autres voies d’accès à lui-même. Cette exigence de vérité et de connaissance va peu à peu le détourner du travail figuratif. Il se tourne vers l’abstrait, comme une quête encore plus exigeante, et plus ardue : se mettre en symbiose avec la peinture, la matière picturale, en dehors des formes connues, en dehors d’un réel parfois trop repris, ressassé, répété et appauvri.
Il déclare « avant de découvrir l’art abstrait, j’étais un heureux prisonnier du photoréalisme ».
Il aurait pu effectivement s’en contenter. Les visages qu’il dessine sont d’une fidélité troublante, on pourrait s’attendre à les voir s’animer dans leur expressivité propre. Mais le visage est encore un masque. Il faut le faire éclater, pénétrer la matière, plonger dans les couleurs, comme on regarde le ciel en cherchant des étoiles en plein jour.
La peinture est une rencontre qui ne s’en laisse pas compter.
Le risque croît à mesure qu’il se tourne résolument vers l’essence de la peinture. Mais c’est une essence qui ne cesse de se déplacer. Chaque toile est tentative de saisie et de restitution. Christophe Baudin cherche à pousser la liberté au plus loin, aborde les confins. La prise de risque est totale, on ne peut tricher avec les œuvres.
Il approfondit son art et s’approfondit, dans un même geste, en quête de vérité qui se tourne vers l’espace, à travers des signes, tracés dans l’acrylique et le sable. Des signes qui cherchent à dire les silences du cosmos et les craquements du temps. Mais chaque toile est aussi une descente, une plongée dans les plis et replis de son intériorité.
Christophe Baudin avance dans son art comme il avance en lui-même. Il se découvre en découvrant les toiles qu’il met au jour tout en étant affirmé et réaffirmé par elles. Véritable dialogue qui s’instaure alors entre la toile et le geste. Dialogue infini, entamé avec ce qui semble nous emmener au-delà de nous-mêmes, dans des morceaux d’espaces apparemment vides mais pleins de réserves de sens et de beauté. Ces espaces ouvrent des perspectives insolites sur l’univers en formation, on pourrait se croire transplantés dans la matière et la lumière enchâssées dans l’effervescence des tout premiers instants. Cet univers n’est pas un désert gazeux, il est peuplé d’inscriptions subtiles qui font de la matière les véritables strates de l’esprit en mouvement. Cet esprit se donne à voir dans des sortes de villes suspendues dans des ciels aux couleurs insoupçonnées et flamboyantes.
En effet, certaines œuvres montrent des villes cosmiques ancrées dans la toile comme l’étoffe des songes. On se croirait plongés dans des univers parallèles et pourtant familiers. Dans ce que Christophe Baudin produit, il y a des bouts de l’âme humaine perdue dans les espaces invisibles de la matière cosmique, mais qu’il nous permet d’appréhender, de ressentir, de vivre, en direct, en regardant ses toiles, en les laissant venir à nous dans leur cohérence intrinsèque, leur force étonnante, leur nécessité.
Une contingence nécessaire
Ce qui semble constituer l’une des marques des créations qui se tiennent, qui signifient, qui font sens à partir des sens, c’est qu’elles semblent porter en elles leur propre nécessité d’être, sur un fond de contingence positive. En effet, ce que disent clairement et sans équivoque les peintures de Christophe Baudin, c’est le fait qu’elles pourraient ne pas être – rien ne les précède, ne les annonce, ne les explique ou ne les justifie. Il n’y a pas de modèles préalables ou de réel à reprendre tout en l’imitant. Tout au contraire, elles s’affirment d’emblée, par elles-mêmes, dans leur propre nécessité, dans leur indiscutable évidence. Nécessité et évidence du geste du peintre incarné dans la toile – comme la présence impressionnante et sidérante du cosmos – qui fait que la contingence devient réalité et nécessité sans partage.
Il en va, dans les peintures de Christophe Baudin, de couleurs – somptueuses -, de traits – nets et tranchés ou souples et quasi-indistincts -, de courbes – voluptueuses et sensuelles – comme de musique. Car en effet, de même qu’il se prépare mentalement au geste créatif en écoutant de la musique, de même son travail est tout aussi pictural que musical. Ses toiles font entendre des vibrations d’espaces en établissant des coïncidences cosmiques qui se trouvent en nous et hors de nous.
Une oeuvre plus récente intitulée « Fireworks » – collection privée
Peinture et ascèse
Ce que l’on peut ressentir en contemplant les toiles du peintre Christophe Baudin – et son atelier en regorgent, tant le travail est fécond et la recherche constante et permanente – c’est tout à la fois une émotion saisissante – les toiles nous parlent au plus près de notre sensibilité, comme si elles ouvraient des morceaux de nous-mêmes, enfouis, inexplorés – qu’un dégagement et une traversée vers d’autres dimensions du monde. En ce sens, elles font signe vers un sublime qui transcende les limites de l’ego, le force à se dépasser lui-même, mieux, à s’oublier et à laisser être ce qui se passe de l’humain tout en l’incluant dans des champs de réalités autres. Les toiles déploient une temporalité et un espace qui n’appartiennent qu’à elles mais qui semblent cependant s’adresser à chacun de nous. Elles nous demandent d’entrer dans leur surface plane comme si nous étions invités à pénétrer dans la courbure de l’espace. En ce sens, elles sont comme des fenêtres ouvertes sur le monde encore vierge qui borde nos perceptions. A nous de prendre le temps de nous y attarder. Ascète du regard et de l’écoute, déterminé dans son travail créatif, Christophe Baudin incite à l’approfondissement de notre attention, à un regain de concentration qui nous incline à sortir des sentiers habituels de la perception.
Le sublime, ici, est tout aussi bien le dépassement de l’humain que la reprise de sa sensibilité la plus forte. C’est pourquoi certaines toiles de Christophe Baudin parviennent à nous toucher jusqu’à nous bouleverser, comme un doux ébranlement de l’être d’abord désorienté avant d’être renvoyé à lui-même et à ses capacités de méditation et d’appréciation. Le travail de création, précise-t-il, « provient d’une patiente et tenace sublimation de nos faiblesses afin de réussir à communiquer, transmettre, sans se laisser submerger par nos émotions ». On accède à l’émotion en en maîtrisant la sève initiale afin de pouvoir la transformer en œuvre tout aussi singulière qu’universelle.
Tout comme l’espace transcende notre vision, les toiles du peintre aimeraient sortir d’elles-mêmes, repousser les limites du cadre dans lesquelles elles résident. C’est ainsi que Christophe Baudin compose aussi des quadriptyques, qui permettent à la peinture de se déployer à la mesure de son énergie. Et l’énergie n’est pas ici un vain mot, car on se trouve bien en présence d’un système énergétique qui, passant de toiles en toiles, se donne à sentir en chacune tout en annonçant les prochaines. Il s’agit d’une énergie qui gagne en puissance au fur et à mesure qu’elle se déploie. Il en va ici non seulement de la puissance de vie, mais aussi du souffle de la matière et de l’éruption des couleurs prises dans les turbulences cosmiques.
Christophe Baudin connaît un succès, et pas seulement d’estime. Ses toiles commencent à être connues et reconnues.
Quant à nous, notre première rencontre s’est faite par l’internet, qui nous offre un aperçu non négligeable de son travail.
Pour ceux qui aiment la peinture, il y a dans les œuvres de Christophe Baudin une « promesse de bonheur » dont parlait Stendhal.
Pour ceux qui méconnaissent la peinture dite abstraite, ils pourront constater qu’il n’y a rien de plus concret que l’ensemble des sentiments qu’on peut ressentir devant la couleur en mouvement au cœur-même de la matérialité picturale la plus envoûtante.
Hervé Miclot – Août 2018
Hervé Miclot est romancier et professeur de philosophie
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